Intervention de Monsieur Dominique DANGUY des DESERTS, Ingénieur agronome et trésorier du SDPPR56
Tout le monde s’accorde sur l’utilité du bocage,
La défense du bocage breton fait l’objet d’un consensus général ; élus, agriculteurs, écologistes, chasseurs, scientifiques, opinion publique tout le monde s’accorde sur les services non marchands que rend ce maillage arboré : patrimoine, rugosité protégeant des vents, filtre de l’eau, lutte contre l’érosion, protection de la flore et de la faune, maintien de la biodiversité, confort des animaux et enfin production de bois et stockage du carbone.
Et pourtant…
Le linéaire boisé a reculé fortement ; effet du remembrement jusque dans les années soixante-dix mais surtout nécessité de s’adapter à la taille des engins agricoles, de gagner du temps et de la surface, manque de disponibilité ou de compétence des agriculteurs et enfin perte de valeur économique d’un bois diffus, hétérogène et souvent de médiocre qualité. Tout cela a conduit à la régression du bocage par destruction ou par lent dépérissement faute d’entretien et de renouvellement.
La prise de conscience de cette situation paradoxale a conduit à la mise en place de dispositifs de protection et d’aides au maintien et à la reconstitution du bocage qui se renforcent au fil des années.
Quelles sont ces politiques de protection du bocage ?
Il y a d’abord les outils règlementaires que je ne fais que mentionner ; ils relèvent :
• du Code de l’urbanisme (haies incluses dans les espaces boisés classés à conserver)
• du Code rural (communes ayant fait l’objet d’un aménagement foncier),
• du Code de l’environnement (sites classés, Natura 2000),
• du Code de la santé publique (périmètre de captage)
• du Code du patrimoine (voisinage d’un immeuble classé ou inscrit).
Il s’agit là de protections fortes mais partielles et passives en ce sens qu’elles n’induisent ni obligation d’entretien ni aide au renouvellement.
Il y a ensuite les aides publiques en contrepartie d’obligations
• il y a l’écoconditionnalité aussi appelée MAEC (Mesures agri-environnementales et climatiques) dans les DPU (droits à paiement unique) versés aux agriculteurs sur le budget de la Politique agricole commune (PAC) qui prévoient la protection des particularités topographiques (haies, bosquets, arbres d’alignement…) lesquelles sont cartographiées. Les accords récents en vue de la PAC 2023-2027 prévoient un renforcement de ces MAEC (voir ci-après l’écorégime).
• Le programme Breizh Bocage, spécifique à notre région, doit être développé parce que le second programme (2014-2020) a fait l’objet d’un bilan riche d’enseignements en vue du 3e programme.
L’objectif principal de Breizh bocage est la protection de la ressource en eau d’où une organisation par bassin (pour le Morbihan : Blavet, Oust, Vilaine aval, Lorient et Vannes-Auray), d’où également un financement associant l’Europe (via le FEADER), l’Agence de l’eau LoireBretagne, le Conseil régional et les conseils départementaux.
Il est vraisemblable que Breizh Bocage 3 s’attachera à l’entretien de la haie et à une meilleure coordination avec les autres politiques publiques de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique
Le bilan du programme 2014-2020 fait apparaître globalement une stabilisation du linéaire boisé, ce qui est nouveau, mais avec des disparités, ainsi le bocage progresse en Côtes d’Armor et Ille-et-Vilaine mais continue de régresser en Morbihan.
Ce bilan montre aussi que Breizh Bocage contribue à la réappropriation par l’agriculteur du bocage mais il montre aussi que l’agriculteur ne fait pas de différence entre faire-valoir direct et fermage ; « le régime de propriété ne joue pas » peut-on lire.
Il y a enfin les politiques émergentes de protection du bocage,
• Le Plan de gestion durable des haies (PGDH) : un conseiller bocage-agroforesterie fait un état des lieux et propose à l’agriculteur un programme de gestion, d’amélioration et de valorisation des haies de l’exploitation. • Le Label haie vise à certifier les bonnes pratiques de gestion durable des haies afin de protéger et de gérer un bien commun précieux et d’intérêt général. Il est en phase expérimentale.
• Le programme « Plantons des haies ! », l’objectif de ce programme, doté de 50 M€ provenant du plan de relance, est d’aider les agriculteurs qui souhaitent favoriser la biodiversité en reconstituant les haies bocagères ou en implantant des alignements d’arbres.
• « L’écorégime » n’est pas encore opérationnel mais qui devrait tenir une place intéressante dans la PAC 2023-2027 ; l’accord européen conclu fin juin prévoit que chaque État-membre élabore un Plan National Stratégique répondant à 10 objectifs européens dont
– Lutter contre le changement climatique et s’y adapter,
– Protéger la biodiversité, les paysages et les écosystèmes,
Pour atteindre ces objectifs, des mesures sont prévues dont l’écorégime « symbolise l’ambition environnementale et climatique de la PAC ». Il concentre à lui seul 25% du budget du 1er pilier (celui des aides directes entièrement à la charge du budget communautaire) ; l’agriculteur qui accèdera à l’écorégime pourra bénéficier d’un « paiement additionnel » [dont le montant n’est pas précisé] s’il justifie de 7% d’infrastructure agroécologique (IAE) rapportés à sa surface agricole utile ; ce paiement sera majoré s’il justifie de 10% d’IAE. Une rapide évaluation sur l’exploitation de l’un de nos adhérents montre qu’en zone bocagère on se trouve dans cette fourchette de 7 à 10%.
Enfin,
• Les crédits carbone et le programme Carbocage,
Le projet CARBOCAGE
Synthèse de l’exposé
Intervention de Madame Laurence LIGNEAU, Energie GES Climat, à la Chambre régionale d’Agriculture de Bretagne.
° Constat
Parmi les bienfaits du bocage, est apparu le stockage de carbone dans la partie aérienne des végétaux mais aussi dans les racines et dans l’humus. Cela en fait un réservoir potentiel de carbone pouvant être labellisé et valorisé en accédant au marché du carbone, c’est-à-dire en vendant des crédits carbones à des émetteurs ou sources de carbone (entreprises, manifestations…).
Alors pourquoi ne pas l’appliquer aux arbres constituant les haies bocagères à l’instar de la forêt au travers d’une gestion optimisée ? C’est la solution proposée par Carbocage…
Il s’agit de créer des méthodes qualitatives avec traçabilité et pérennisation du processus.
Le label ainsi obtenu récompense une action durable et quantifiée…
• Marché du carbone, adaptabilité, création d’un label
En 2005 le marché du carbone voit le jour avec la prise de conscience de la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les émetteurs paient les stockeurs voire les acteurs de la diminution de carbone.
Puis s’est développé un marché international du carbone se voulant vertueux pour encourager le label bas carbone : les industriels émetteurs alimentent un fonds international qui permet d’aider et d’encourager la mise en œuvre du label bas carbone .
Le marché établi par Carbocage doit permettre d’éviter les dérives « Nord/Sud » (telles La Terre vue du Ciel qui achetait des milliers d’Ha à bas prix dans hémisphère sud pour planter des palmiers) en permettant à des émetteurs locaux (par exemple des entreprises de l’agroalimentaire), d’acheter localement des crédits carbones dans une démarche RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale)
. • Fonctionnement Carbocage : Gestion, durée, typologie,
Pour le moment il s’agit :
– Evaluer le carbone stocké dans les haies bien gérées via un guide de gestion des haies.
– Trouver des vendeurs et des acheteurs de carbone et définir un prix
– Expérimenter le processus (dans le Morbihan: le Pays du Roi Morvan)
Les collectivités locales, les agriculteurs et les entreprises sont donc impliquées. Cependant les intérêts de chacun divergent en termes de coûts aussi une structure associative assure pour la Bretagne le lien financier : ALLI’HOMME (association Chambre d’Agriculture et FDSEA).
La quantification du carbone stocké dans cette perspective de la diminution des gaz à effet de serre est effectuée à partir de mesures théoriques avec l’unité de mesure suivante : « tonne équivalent CO2 par kilomètre et par an ».
Les évaluations sont les suivantes :
– Biomasse aérienne de 0 à 4.85 Teq CO2/km/an hors prélèvements,
– biomasse racinaire 0.4 à 3.2 Teq CO2/km/an
– sol 0.77à 3.94Teq CO2/km/an
Pour tenir compte de la typologie différente des haies, la capacité de stockage de carbone est modulée selon les quatre modèles qui ont été établis :
– haies pluri strates,
– haie de taillis,
– haie de futaie,
– haie arbustive.
La haie pluri strate est privilégiée car elle est dense à tous les niveaux ; la moyenne de stockage est de 5 Teq CO2/km/an.
Nota : 1Teq CO2 équivaut à environ 300kg de carbone et 1 M3 de bois en déshérence correspond à 1 Teq CO2 5
La durée du contrat est de quinze ans ; Carbocage en est prestataire de service ( avec signature du contrat) et le coordinateur technique ; il est assisté par Alli’homme pour la partie financière, Agriculture et Territoire assure le lien entre agriculteurs et entreprises et coordonne les actions.
• Planifications & chiffrage
Pour être éligible l’exploitant doit activer un plan de gestion durable incluant tout son linéaire de haies …
La durée de quinze ans s’articule selon les phases suivantes :
Premier quinquennat : bilan initial et visite technique puis coaching et formation qui débouchent sur une notification du projet après un audit documentaire et terrain sous forme de plan d’actions…
Second quinquennat : mise à jour du projet après audit et ajustement du plan d’actions puis demande des crédits avant leur délivrance…
Troisième quinquennat : visite terrain et audit documentaire pour poursuite de la délivrance des crédits si les objectifs sont atteints….
L’objectif est d’avoir un plan de gestion durable des haies qui soit cohérent et pérenne.
Cependant il s’agit d’un contrat de marché qui par définition sera fluctuant sachant que le coût de plantation est évalué à 62€ pour 100 mètres linéaire et par an ; le coût de gestion d’une haie pluri strate est lui estimé à 100€/100ml/an sans tenir compte de la valorisation économique du bois.
Conclusion :
La nouvelle loi dite « Climat & résilience » du 22 aout 2021 encourage cette compensation carbone et en particulier via la démarche RSE (responsabilité sociétale & environnementale) .
Après des décennies de dégradation des haies et du bocage en général, l’Etat essaye de les réhabiliter via Breizh bocage et Carbocage … Mais les contraintes restent importantes tant sur le plan technique que sur le plan de la rentabilité pour l’exploitant.
Questions/Réponses
De nombreuses questions ont été posées et notamment sur la place du propriétaire dans le contrat Carbocage :
– Il en ressort que pour le moment le propriétaire n’est pas partie prenante dans le contrat ; il n’est pas nécessairement informé…Le revenu ne concerne que l’exploitant
Or il y a un impact sur la durée du bail qui peut ne pas être celle du contrat.
En cas de reprise par un autre exploitant, rien n’est précisé ni indemnités ni droit de reprise…
Le droit d’émondage existe déjà. Il faut donc revoir les baux pour inclure ces clauses environnementales.
Ce type de contrat est en lien avec l’activité agricole ; il est important de préciser ses liens avec le bail (Motif de résiliation du bail par exemple) Le propriétaire et/ou l’exploitant n’adhère pas nécessairement à ce type de démarche environnementale
– Le lien avec la gestion durable de la forêt a été bien abordé ; en effet comme cela figure dans le constat des actions engagées en préambule. La forêt s’inscrit dans la continuité des actions du même type depuis plusieurs années à travers une gestion durable.
Par contre il est à noter que la mise en place de la fibre optique en aérien et ses contraintes d’entretien (obligation d’abattage et d’élagage par le propriétaire) va à l’encontre du maintien des haies
– Une autre préoccupation des propriétaires et des exploitants est le fait que La compensation carbone risque de ne pas être pérenne car contractuelle. De plus les bénéfices que l’exploitant peut réellement en tirer sont faibles par rapport au travail fourni et au temps passé. De plus s’ajoute donc une incertitude dans la durée compte tenu des risques que l’Etat ne semble pas forcément en mesure de pallier.
Nota : pour information : L’objectif est de passer en France de 11TeqCO2 par habitant à 2Teq à l’horizon 2050, soit ce qu’émet aujourd’hui un algérien de 10 ans …. L’américain est à 24 Teq Dans le BTP et le transport, l’objectif est d’arriver à 0 ; on admet que l’agriculture restera émettrice de gaz à effet de serre à cause, notamment de ruminants qui émettent du méthane… Tout dépend également du mode de calcul qui est néanmoins apparemment plus arbitraire que scientifique